Couverture du numéro 11 de la revue Merz
Merz ! Vous avez dit Merz ? Comme c'est étrange… Le mouvement Merz, proche dans l'esprit du dadaïsme et du constructivisme, et où il entre aussi un peu du Bauhaus, a été crée par Kurt Schwitters en 1919. Il repose essentiellement sur la récupération, le détournement et le collage. Le nom provient à l'origine d'un groupement de lettres découpé par Schwitters dans une annonce de la Commerzbank. Il est utilisé pour désigner le tableau Merzbild I, et recouvrera dès lors l'ensemble de la production picturale, poétique et architecturale de l'artiste allemand.
Merzbild I, 1919
Né à Hanovre en 1887, Kurt Schwitters (1887-1948) a étudié la peinture à l'école d'art de sa ville natale, puis à l'académie des beaux-arts de Dresde. Très vite, il se détourne des canons de l'esthétique pour donner libre cours à sa fantaisie. Son dada : collecter dans la rue des détritus qu'il destine à ses collages. Fragments divers et disparates, morceaux de journaux et d'affiches, tickets de bus usagés, bouts de tissus, boutons, fils de fer… Avec Schwitters, le recyclage fait une entrée aussi hasardeuse que fracassante dans le monde de l'art.
Anna Blume, 1919 et Die Kathedrale, 1920
En 1919, Kurt Schwitters publie dans la revue berlinoise Der Sturm le poème collage Anna Blume, où il se joue des mots et de la syntaxe allemande. Le poème annonce l'orientation de l'œuvre à venir, à la manière d'un prélude.
Deux tableaux merz, de 1920 et 1921
En 1920-1922, Schwitters réalise un Miroir-Collage, aujourd'hui conservée au musée d'Art moderne de la ville de Paris. L'œuvre a été encadrée par Tristan Tzara en 1957, qui ne laisse visible que la partie ovale travaillée du cadre du miroir.
Miroir-Collage, vers 1920-1922
Ami de Raoul Hausmann et de Hans Arp, il se rapproche de Théo Van Doesburg et El Lissitsky au début des années 1920, et commence à s'intéresser de très près à la typographie. En janvier 1923, il édite à Hanovre le premier numéro de sa revue Merz, consacré à De Stilj, et crée l'année suivante une agence de publicité du même nom, la Merz Werbezentrale.
Enveloppe, prospectus et publicités pour la Merz Werbezentrale, 1924, 1925, 1926 et 1927
La revue Merz comptera 24 numéros, publiés entre 1923 et 1933, dont trois ne paraissent pas. Kurt Schwitters y énonce ses principes typographiques et préside à l'esthétique globale de la revue, mais la mise en page est l'œuvre du typographe suisse Jan Tschilchold. Le numéro 11 mettra en lumière ce travail sur la typographie.
Couvertures de huit numéros de la revue Merz
Page 4 du n°1 et page 26 du n°2 de Merz, 1923
Page 38 du n°4, 1923, et page d'abonnement à la revue Merz à la fin du n°8, 1924
Le dernier numéro de la revue, le numéro 24, est consacré à l'UrSonate (Sonate mit Urlauten). Le texte est ici agrémenté d'annotations diverses concernant la construction musicale et les particularités de prononciation et d’énonciation. Des signes destinés à aider un éventuel interprète sont incorporés à la partition, dessinée par Jan Tschilchold à la demande de Schwitters. Si le rythme et la mélodie respectent les règles de la sonate traditionnelle, en quatre mouvements, l'artiste se joue de la typographie et de la phonétique en répétant inlassablement, à la manière d'un collage, la décontraction du poème sonore qu'Hausmann a donné en 1918, "fmsbwtözaüpggiv…".
Raoul Hausmann, fmsbwtözäupggiv, 1918
Un langage totalement libéré de ses normes où règne la lettre même. S'il s'agit de suivre les règles strictes de la sonate, donc, de multiples variations sont possibles, et c'est en fin de compte à l'expressivité, l'imagination, l'inventivité, la créativité du récitant de déborder la partition. La Ursonate est conçue en 1921, achevée en 1932, et enregistrée ; elle consiste en répétition compulsive de mots sans signification, sur 19 mélodies différentes, et dure 55 minutes. Man Ray a photographié l'auteur la récitant. Le CD de l'UrSonate, réédité en 1990. Ces dernières années, Eberhard Blum et Jaap Blonk ont entrepris l’exercice difficile de sa récitation.
Enregistrement de Schwitters récitant la Ursonate le 5 mai 1932 à Frankfort
En 1927, Schwitters fonde les abstraits de hanovre, avec quatre autres artistes avant-gardistes : Carl Buchheister, Rudof Jahns, Hans Nitzschke, et Friedrich Vordemberge-Gildewart. Il s'agit de transposer les principes de l'abstraction aux arts appliqués et à l'architecture. Un travail que Schwitters a commencé dès 1922 dans son propre atelier, utilisant les rébus de la société industrielle accumulés durant des années pour édifier le célèbre Merzbau, une construction architecturale d'intérieur en bois et plâtre qui comprend un ensemble de colonnes singulières contenant une multitude d'objets, imbriquées et assemblées dans un espace de huit pièces investies par l'artiste. Détruit lors des bombardements anglais sur Hanovre en octobre 1943, le Merzbau est reconstruit à plusieurs reprises par Schwitters partout où il a vécu, d'abord en Norvège où il s'est exilé en 1937 avec son fils Ernst pour fuir le nazisme (le Haus am Bakken de Lysaker, en 1938, détruit par un incendie en 1951, et une construction inachevée à Hjertoya), puis en Angleterre à partir de 1940 lorsque les Allemands envahissent la Norvège (le Merbarn de Elterwater, commencé en 1947, inachevé quand l'artiste meurt à Ambleside en 1948).
Photographie du Merzbau, le gigantesque atelier de Schwitters, par Wilhelm Redemann, 1933
Du Merzbau original, il ne reste que trois photographies prises en 1933 par Wilhelm Redemann. Et en 1981-1983, Peter Bissegger s'appuie sur l'étude très poussée de ces photos pour reconstruire le Merzbau, avec l'aide des souvenirs d'Ernst Schwitters, qui était âgé de 8 ans avant l'exil. La scène reconstruite sera exposée avant d'intégrer le musée Sprengel de Hanovre. Une copie mobile de la copie de Bissegger sera exposée à Londres en 1988-1989 pour la rétrospective Dada et le constructivisme, avant d'être montée et démontée une vingtaine de fois à travers le monde.
Le centre Georges-Pompidou organise la première rétrospective Schwitters en France en 1994.
Bibliographie séléctive :
Merz, écrits choisis et présentés par Marc Dachy suivi de Schwitters par ses amis. Ursonate, fac-similé de la typographie originale, enregistrement de son interprétation par son auteur (CD). Textes allemands traduits par Marc Dachy et Corinne Graber. Textes anglais traduits par Marc Dachy, éditions Gérard Lebovici, Paris, 1990.
Anna Blume, édition établie par Marc Dachy, traduit de l'allemand par Marc Dachy et Corinne Graber, éditions Ivrea, Paris, 1994, édité avec le CD audio de l'UrSonate.
+ d'infos :
La fondation Schwitters d'Hanovre
Parcourir 8 numéros de la revue Merz et l'édition de 1922 de Memoiren Anna Blumes in Bleie
La collection Schwitters du MoMA
Œuvres ©Kurt Schwitters