Grégoire Solotareff est un illustrateur très populaire et très prolifique : en 15 ans, pas moins de 130 livres à son actif, soit près d'une dizaine de titres par an !
Il est né français en 1953 à Alexandrie, d'un père libanais médecin, Henry El-Kayem, et d'une mère franco-russe peintre et dessinatrice née à Choisy-le-Roi, Olga Solotareff. Son grand-père maternel n'est autre que Marc Solotareff, le célèbre architecte qui avait reçu le premier prix à l'Exposition universelle de 1937 pour la construction d'une passelle en bois armée de colonnes, et dont la notoriété avait dépassé les frontières françaises.
Avec l'arrivée de Nasser au pouvoir, les Solotareff, victimes de la vague de haine anti-européenne, quittent l'Égypte en 1956 pour le Liban. Le père, qui avait été médecin du prince héritier et des hauts dignitaires égyptiens, ouvre son propre cabinet à Beyrouth. Les enfants sont élevés dans le bruit incessant des balles et des explositions, mais c'est une enfance heureuse. En 1960, la mère et les quatre enfants embarquent pour la France, via la Grèce, et s'installent en Bretagne dans la maison acquise avant la guerre par le grand-père. Le père les rejoint un an plus tard, francisant son nom El-Kayem en Lecaye. La famille part s'installer aux Mureaux, en région parisienne, où le père ouvre un cabinet de pédiatre.
Éduqués par leur mère, qui a suivi l'école du Louvre, les quatre frères et sœurs passent beaucoup de temps à fabriquer des histoires et des livres. Grégoire Solotareff est scolarisé pour la première fois à l'âge de 12 ans, en classe de cinquième, au collège de Saint-Germain-en-Laye : considéré comme un étranger, c'est la première fois qu'il ressent la différence.
Après avoir exercé la médecine générale à l'hôpital pendant près de dix ans, il se remet au dessin à la demande de son fils. Mais c'est la rencontre déterminante en 1985 de l'illustrateur Alain Le Saulx qui le décide, à 32 ans, à se consacrer exclusivement à l'illustration et aux récits pour les enfants. Les deux illustrateurs donneront Tom, le maxi imagier (Hatier, 1990) et Le petit musée (L'École des loisirs, 1992-2001).
En 1985, sous la houlette d'Alain Le Saulx, Solotareff publie chez Hatier quatre livres de la série des Qui… ? (Qui flotte ? Qui nage ? Qui roule ? Qui vole ?) dans la collection « Hibou-Caribou » et ses deux premiers albums de la série Théo et Balthazar (Théo et Balthazar au pays des crocodiles et Théo et Balthazar dans l'île du Père Noël), à travers lesquels il rend un hommage appuyé et sensible au célèbre Babar de Jean Brunhoff qui a peuplé son enfance – 8 titres parus de 1985 à 1988.
Couvertures des troisième et septième albums de la série parus chez Hatier en 1986 et 1988
Solotareff publie son premier album à L'École des loisirs, Une prison pour Monsieur l'Ogre, en 1986, et le célèbre Ne m'appelez plus jamais mon petit lapin, l'année suivante.
Couvertures des deux premiers albums parus à L'École des loisirs en 1986 et 1987
La parution et le succès incontestable de Loulou, en 1989, marque un véritable tournant. Son style s'affirme, sa peinture se concentre et prend de l'épaisseur, de la matière, à coups de grands aplats de couleur entourés de larges traits noirs. L'harmonie entre les couleurs, la dynamique du dessin, sa rapidité d'exécution, l'exagération et la liberté dans le trait, tout cela participe d'une véritable décision quant à l'impact visuel que l'illustrateur veut donner.
Couvertures de Loulou (1989) et Le Masque (2001) parus à L'École des loisirs, études de loups
Les personnages et les thèmes sont récurrents : le père Noël, l'ogre, le loup, le loup surtout, ou encore le crocodile… Un grand bestiaire, une galerie de personnages ancrés dans notre culture qui font office en quelque sorte de déclencheurs d'imagination.
La rencontre de l'autre, l'amitié, l'amour, la solitude, la quête d'identité, l'exclusion et la différence – toute la gamme des émotions de l'enfant face à la vie est ici passée au crible.
Solotareff aime par-dessus tout, semble-t-il, travailler la double page – évitant ainsi la répétition, renforçant le propos.
L'histoire est écrite simplement pour donner la main au dessin, pour l'accompagner. Car les émotions doivent passer par la couleur et le dessin, et non par les mots qui, selon lui, les travestissent.
Solotareff suit ses envies et commence souvent ses histoires à partir d'un univers, d'une atmosphère générale. Il choisit un personnage, qu'il dessine, puis écrit l'histoire de ses aventures, qu'il découpe ensuite en séquences. Alors seulement sont créées, suivant cette chronologie, les images, l'une après l'autre.
Couvertures d'albums parus à L'École des loisirs entre 1997 et 2005
Solotareff voue une grande admiration à Tomi Ungerer – notamment à l'audace, l'aisance et la grâce de son dessin (les 3 Sorcières de Solotareff font directement écho aux Trois Brigands d'Ungerer, jusque dans le choix des couleurs) – et à Saul Steinberg. Il apprécie aussi Maurice Sendak (qui influence sans doute Toi grand et moi petit), André François, Roland Topor ou encore Jean Fouquet, miniaturiste de la Renaissance.
Couverture des 3 Sorcières (1999) et étude pour Toi grand et moi petit (1996)
Si Solotareff a publié une cinquantaine d'albums en tant qu'auteur illustrateur, il a également collaboré avec sa mère Olga Lecaye et sa sœur Nadja, toutes deux illustratrices, à une vingtaine d'albums. Chez les Lecaye-Solotareff, les livres pour enfants sont une histoire de famille. Les livres, en vérité, puisque le frère aîné, Alexis Lecaye, publie des romans policiers au Masque (il est en fait surtout connu pour avoir créé pour la télévision les séries policières Julie Lescault et Rose et Val).
Affiches réalisées pour L'École des loisirs
En 1994, Solotareff crée la collection pour tout-petits « Loulou et Compagnie » à L'École des loisirs, qu'il continue de diriger. Les critères incontournables pour entrer dans la collection : la gaieté, l'humour, la clarté, l'étrangeté, et surtout une certaine intelligence interne, une personnalité singulière qui permet à un objet d'exister. Il faut que cela fonctionne. C'est une question de séduction plus que d'intention. Que veut dire ce livre ? Quelle est la question posée ? Parmi les auteurs qu'il publie, Solotareff avoue avoir une petite préférence pour le travail d'Alex Sanders…
Sérigraphie et étude de chat
De nombreux albums ont été adaptés au théâtre, et Solotareff lui-même expérimente depuis peu un autre moyen d'expression, le film d'animation, avec Loulou et autres loups, un film adapté de l'album et quatre courts-métrages écrits avec Jean-Luc Fromental en 2003. Mais c'est avec U qu'il donne sa pleine mesure en 2006.
Deux études et les affiches des films Loulou et autres loups (2003) et U (2006)
• Loulou et autres loups, film d'animation de Gragoire Solotareff et Jean-Luc Fromental, réalisé par Serge Elissalde (Loulou) et Marie Caillou, François Chalet, Richard McGuire & Philippe Petit-Roulet (Autres loups), musique de Sansaverino, 26 min, Prima Linea Production, 2003. Extraits et infos ICI
• U, film d'animation de Grégoire Solotareff et Serge Elissalde, musique de Sanseverino, 1h15, Prima Linea Production, 2006. Extraits et infos ICI. Un interview de Jean-Philippe Guerand en novembre 2007 ICI
+ d'infos :
• Le site de Grégoire Solotareff (de nombreux dessins et esquisses, une dizaine de sérigraphies en vente à 100 et 200 €)
• Bibliographie détaillée sur le site de Ricochet-Jeunes
• Le long portrait vidéo de Grégoire Solotareff réalisé en 2009 par Patricia Delahaie, sociologue et journaliste spécialisée en psychologie de l'enfant, pour L'École des loisirs ICI
• Une exposition importante, Solotareff imagier, a été organisée au Centre de l'Illustration de Moulins du 12 avril à 18 octobre 2008 ; l'album a été édité par les édition MeMo.
• Un entretien dans Libération où Solotareff revient longuement sur l'histoire familiale ICI
• Le compte rendu d'une intervention de Solotareff au CRDP de Créteil en 2005 où l'illustrateur évoque son univers et son travail ICI
Images ©Grégoire Solotareff et ©éditeurs pour les couvertures