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22 mars 2010 1 22 /03 /mars /2010 16:27
noel1.jpgAprès Noël, Autrement Jeunesse, 2001

Des illustrations sensiblement et techniquement différentes pour une œuvre terriblement homogène… À l'heure de la Foire du livre jeunesse de Bologne, nous allons brosser un rapide portrait de l'Italienne (et Bolonaise !) Beatrice Alemagna.

jo_singe_garcon2.jpgJo singe garçon, Autrement, 2010

Crayons de couleur, collages, gouache, feutre noir ou stylo, tous les procédés sont bons pour ses dessins au trait minutieux ou le foisonnement coloré de ses illustrations dans lesquelles s'enchevêtrent motifs et matières. Son truc : adapter les techniques à l'histoire.

lion2.jpgUn lion à Paris, Autrement, 2006

Inspirée très jeune par Gianni Rodari, Lele Luzzati et Bruno Munari (dont nous avions parlé ICI), Beatrice Alemagna gagne le premier prix du concours d’illustration « Figures Futur » du Salon du livre jeunesse de Montreuil, en 1996.

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  ecran1.jpg  ecran5.jpg
L'Écran des enfants, Centre Pompidou, affiches

En 1998, elle commence à publier au Seuil Jeunesse et réalise des affiches pour l'Écran des enfants à Beaubourg (collaboration toujours d'actualité). Depuis, elle publie régulièrement de très beaux albums jeunesse ; elle est souvent exposée et primée.

karlibou.gifKarl Ibou, édition japonaise de Skyfish Graphix, 2007

Ses livres sont traduits en espagnol, italien, anglais, allemand, néerlandais, tchèque, slovène, grec, taïwanais, coréen, portugais, portugais-brésilien, chinois et japonais. Rien que ça !

karlibou3.jpgKarl Ibou, Autrement, 2008

Beatrice Alemagna est publiée par le Seuil Jeunesse, Autrement Jeunesse, Gallimard Jeunesse, Panama, Didier Jeunesse, Thierry Magnier, Rue du Monde, Skyfish Graphix (Japon), Topipittori (Italie) et Phaïdon.

gisele3.jpgGisèle de verre, Autrement, 2002

Beatrice est également auteur de certains de ses albums et ses textes sont comme ses dessins, toujours empreints d'une poésie mélancolique mais jamais tristes !

Mention spéciale au grand album Histoire courte d'une goutte (Autrement, 2004) et à Gisèle de verre (Autrement, 2002).
Ses albums les plus intéressants, ceux dans lesquels on sent que sa créativité a eu libre cours, ont été publiés chez Autrement. Ça aurait sans doute pu être le cas chez Panama également, si cette maison aux publications créatives n'avait malheureusement mis la clé sous la porte.

  goutte1.jpg   goutte2.jpg
Histoire courte d'une goutte, Autrement, 2004

+ d'infos :
Le site de Beatrice Alemagna
Son interview lors d'une rencontre à la librairie L'eau vive, à Avignon, en 2008 : ICI
Des photos d'œuvres plastiques réalisées pour une expo au salon de Montreuil, sur le blog d'Illustrissimo
Sa bibliographie sur Ricochet

omega2.jpgOméga et l'ours, texte de Guillaume Guéraud, Panama, 2008

©Beatrice Alemagna / Autrement Jeunesse  et  ©Beatrice Alemagna / Panama


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14 mars 2010 7 14 /03 /mars /2010 05:10
Le dessinateur argentin Alberto Breccia (1919-1993) est considéré comme le maître incontesté du noir et blanc.
Ce qui frappe d'emblée, quand on parcourt son œuvre, c'est l'évolution de sa technique et sa force de suggestion.

Breccia-Mort-Cinder-1-copie-1.jpegEzra Winston, auquel Breccia prête ses traits. Case extraite de Mort Cinder.

Autodidacte doté d'une grande culture plastique, Breccia – né à Montevideo, en Uruguay, arrivé à Buenos Aires à l'âge de trois ans – est embauché dès 1939 par l'éditeur Lainéz pour dessiner une historietta policière. La bande dessinée, très populaire, est alors en Argentine une véritable industrie qui fait vivre de nombreux scénaristes et dessinateurs (payés à la case). Les planches, imprimées sur du papier bon marché et vendues à bas prix, circulent dans tout le pays. Les commandes des hebdomadaires, des quotidiens et des revues abondent, rendant les délais extrêmement courts – d'où le manque de détails, parfois jusqu'à l'absence de décor, un dessin centré sur les personnages et les dialogues.

Le style de Breccia est d'abord influencé par les grands classiques américains des années 1930-1940 et paraît assez conventionnel (tel Vito Nervio, de 1945). Mais tout change lorsqu'il rencontre le scénariste Hector Oesterheld en 1957. Oesterheld, géologue de formation, a le même âge que Breccia, et c'est un auteur très prolifique. Il a déjà collaboré avec de nombreux dessinateurs argentins, et créé notamment  Sergent Kirk et Ernie Pike avec Hugo Pratt (qui enseigne par ailleurs avec Breccia à Buenos Aires), L'Éternaute avec Solano Lopez.

Le fruit de leur première collaboration, Sherlock Time, qui paraît en 1958, est une petite révolution dans le genre de l'époque. Breccia et Oesterheld inaugurent la voie du fantastique qui peuple notre quotidien – une zone obscure, inquiétante, menaçante – et abordent les thèmes du temps, du cauchemar et de la machination qui traverseront leur œuvre commune aussi bien que personnelle. Breccia prête déjà ses traits à Eustaquio Méndez, comme il le fera avec Ezra Winston dans Mort Cinder.

Breccia Sherlock Time 3   Breccia-Sherlock-Time-2.jpeg
Planches extraites de Sherlock Time où l'on voit Eustaquio Méndez, le premier double de Breccia.

Mais c'est en 1962, avec Mort Cinder, que Breccia et Oesterheld donnent la pleine mesure de leur talent et révolutionnent la bande dessinée argentine. Pour dessiner ce personnage intemporel qui vit, meurt et renaît sans cesse, Breccia trouve son inspiration dans l'expressionnisme du cinéma allemand de l'entre-deux-guerres, transposé à la narration graphique. Par son utilisation des jeux d'ombres, des surfaces noires et blanches, il donne de l'ampleur et de la profondeur à l'image et, à travers ces contrastes, crée une ambiance toute en suggestion. Un scénario dessiné, en quelque sorte, qui vient se superposer au scénario imaginé par Oesterheld.

Breccia-Mort-Cinder-5.jpeg     Breccia-Mort-Cinder-6.jpeg
Breccia-Mort-Cinder-2.jpeg   Breccia-Mort-Cinder-3.jpeg   Breccia-Mort-Cinder-4.jpeg
Breccia-Mort-Cinder-9.jpeg   Breccia-Mort-Cinder-7.jpeg
Planches et cases extraites de Mort Cinder.

Breccia a un grand sens de la page et de la respiration, de l'harmonie et de la cassure. Il commence à expérimenter de nouvelles techniques tout en respectant les codes du genre – il utilise des lames de rasoir, et jusqu'à son souffle, comme spatules pour étaler l'encre de chine, et obtenir ainsi une dureté ou une légèreté singulières du trait à la trace ; se sert de pochoirs, de tissus, de gommes, de tampons pour créer différentes textures ; mélange l'encre à de la colle ou à des solvants. Des outils pour dire, des innovations spectaculaires et efficaces, qui rendent parfaitement l'atmosphère angoissante, oppressante du scénario. Avec Mort Cinder, dont les épisodes paraissent de 1962 à 1964 dans la revue argentine Mysterix, les deux compères se forgent une solide réputation.

Interview d'Alberto Breccia, réalisé d'après des extraits de Alberto Breccia, CNBDI, Angoulême, 1992, et Tinta Roja de Carlos E. Mamud :

Point G ©2008

Avec la version qu'il donne de L'Éternaute en 1969 – une première version du scénario d'Oesterheld avait été dessinée par Solano Lopez – Breccia innove encore (collage, monotype), mais les lecteurs ne le comprennent pas bien et la série est arrêtée.

Breccia-Eternaute-1.jpg    Breccia-Eternaute-3.jpg
Deux planches originales de L'Éternaute.

En 1968 paraît leur monographie du Che, un mélange détonnant d'esthétique et de message politique qui est une véritable bombe. À Buenos Aires, l'accueil réservé à l'album est triomphal : 60 000 exemplaires vendus en un temps record. Breccia et Oesterheld commencent dans la foulée à travailler à la monographie d'Evita Péron. Mais en 1973, sous la junte militaire au pouvoir, toutes les planches originales et les exemplaires invendus de Che sont brûlés, Oesterheld et les Breccia (Alberto et son fils Enrique qui a participé au dessin) sont menacés. Posséder cet album, c'est encourir la mort, et les lecteurs se mettent bientôt à détruire eux-mêmes leurs exemplaires – il ne reste que 3 ou 4 exemplaires de l'édition originale dans le monde. Le scénariste Hector Oesterheld est séquestré et  assassiné en 1977. La monographie d'Evita Perón à laquelle Oesterheld et Breccia avaient commencé à travaillé à la parution de Che ne sera publiée que trente ans plus tard, sans que leurs auteurs en aient vu la version finale.

Breccia-Che-copie-1.jpeg   Breccia-Evita.jpeg
Planches extraites des albums Che et Evita.

Un avant et un après Oesterheld.

Toujours plus fasciné par les univers fantastiques, Alberto Breccia réalise plusieurs adaptations magistrales, dont on retiendra surtout Rapport sur les aveugles, adaptation d'un chapitre du roman Sobre heroes y humbas (Des héros et des tombes) d'Ernesto Sabato, et Les Mythes de Cthulhu, d'après Lovecraft.

Breccia-Aveugles-1.jpeg Breccia-Aveugles-2.jpeg Breccia-Aveugles-3.jpeg
Planches extraites de Rapport sur les aveugles.

Breccia-Cthulhu-1.jpeg Breccia-Cthulhu-2.jpeg Breccia-Cthulhu-3.jpeg
Planches extraites des Mythes de Cthulhu.

Enfin, de 1982 à 1989, Alberto Breccia entreprend avec le scénariste Juan Sasturain le monumental Perramus – ou l'Argentine et le peuple argentin face à leur Histoire. Une fresque qui se joue de l'absurde et du grotesque, une véritable épopée narrative et graphique. On y croise bien sûr Borgès (le guide et la clé), mais aussi les généraux, Perón, Alfonsin, Gardel et tant d'autres. On y parcourt les (re)plis du temps et les (re)coins du monde, le labyrinthe et l'âme malade d'une ville, Buenos Aires, et de tout un peuple.

Breccia Perramus 1-copie-1  Breccia-Perramus-3.jpeg

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Planches extraites de Perramus.

Alberto Breccia a élaboré de nouvelles techniques propres à représenter un univers informe sur lequel le lecteur puisse greffer sa propre vision et ses propres peurs. Là où Breccia ne fait qu'esquisser, suggérer, le lecteur devient acteur de sa propre lecture. Les éléments formels et le langage plastique qui parcourent son œuvre alimentent le sentiment de malaise, la sensation d'horreur qu'inspire la présence inquiétante et oppressante de créatures et de mondes invisibles pourtant si sensiblement présents. Alberto Breccia le premier a réussi par ses innovations graphiques à révéler les limites indéfinissables, les contours flous et fluctuants du possible et de l'inénarrable, avec tout ce que la réalité comporte de terrifiant, de tapi, de rampant. À la frontière de l'aliénation, avec une sensibilité extrême, il a entretenu une relation physique presque torturée avec son art. Le résultat est tout simplement éblouissant – jusqu'à en être aveuglé.

Un film de 26 minutes sur Albert Breccia a été réalisé par Gustavo Mtz Smith, sur une musique originale de Caelo del Rio :

©The Roland Collection of Films on Art


En France, la plupart des œuvres publiées d'Alberto Breccia n'ont pas été rééditées, d'autres n'ont tout simplement jamais été traduites. Les éditeurs aujourd'hui se heurtent malheureusement à un problème devenu presque insurmontable : de nombreuses planches originales ont été détruites, endommagées, perdues ; et les éditions argentines, espagnoles et italiennes existantes ont procédé chaque fois d'un choix de l'éditeur (des singularités d'ordre chronologique ou d'orientation de la page). On considère toutefois que les éditions italiennes sont généralement les plus fiables. Difficile, donc, de proposer une œuvre vraiment fidèle…


Alberto Breccia et Hector Oesterheld :
Sherlock Time / Colihue, 1997 (en espagnol, inédit en français)
Mort Cinder / Serg, 1974, épuisé ; rééd. Glénat, 3 vol., 1982, épuisé ; rééd. Vertige Graphic, 2 vol., 1999, épuisé
L'Éternaute / Les Humanoïdes associés, 1993, épuisé
Che / Fréon, 2001, épuisé ; rééd. Delcourt, 2009
Evita / Doedytores, 2002 (en espagnol, inédit en français)

Alberto Breccia avec d'autres scénaristes :
Rapport sur les aveugles / scénario d'Ernesto Sabato, Vertige Graphic, 1993, 2005
Les Mythes de Chtulhu / d'après Lovecraft, Les Humanoïdes associés, 1979, épuisé ; rééd. Rackham, 2004
Perramus / scénario de Juan Sasturain, Glénat, 4 vol., 1986, 1991, épuisé
Buscavidas / scénario de Carlos Trillo, Rackham, 2001

Adaptations en couleur (acrylique) :
Cauchemars / Rackham, 2003
Dracula, d'après Bram Stoker / Les Humanoïdes associés, 1993, épuisé ; rééd. Rackham, 2006
Le Cœur révélateur / d'après Edgar Allan Poe, Les Humanoïdes associés, 1995

À signaler : de nombreuses planches originales et croquis sont encore proposées à la vente à la Galerie Martel.

Planches dessinées ©éditeurs, sauf les deux originaux de L'Éternaute ©Alberto Breccia

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7 mars 2010 7 07 /03 /mars /2010 23:59
bruno_munari.jpg

Bruno Munari (1907-1998) fut un artiste italien complet qui a essayé toute sa vie de mettre l'art à la portée de tous, et plus particulièrement des enfants. Sculpteur, illustrateur, designer, peintre ou encore écrivain, il resta en marge des mouvements artistiques de son époque. Son génie novateur se confronta à la plupart d'entre eux sans jamais vraiment s'y reconnaître.

munari 1945    MUNARI-1988-copie-1.jpg
horloge, 1945, et paravent, 1988

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Libro Illeggibile "MN1", Corraini (1re éd. 1951)

D'abord graphiste dans la pub, puis directeur artistique pour la presse et l'édition, il cotoie les futuristes, puis rencontre les surréalistes Louis Aragon et André Breton. Il publie ses premiers livres pour enfants en 1945, suite à la naissance de son fils Alberto. Il fonde le MAC (Mouvement Art Concret inspiré par Théo van Doesburg) en 1948, qui l'influencera pour la création de ses fameux livres illisibles (Libri illeggibile) sans texte ni image, appelant au toucher et davantage destinés à un public adulte. Il se consacrera essentiellement à produire des œuvres pour les enfants à partir des années 70, et fondera en 1977 son premier labo, "Jouer avec l'art", à la Pinacothèque de Brera.


munari machine1 Munari machine2
Le Macchine di Munari, Corraini (1re éd. Einaudi, 1942)

Ce qui nous reste de Munari, c'est donc surtout son œuvre pour la jeunesse, qui transforme le lecteur en acteur principal de l'interprétation de chacune des histoires. Il pense, pour tous ses livres, non pas à un mais à plusieurs déroulements. Chacun peut s'approprier le livre, aussi bien dans le texte que dans la forme. Feuillets à classer pour construire la narration, couleurs modulables, chaque livre est riche de multiples possibles. Précurseur dans ce domaine, il publiera une trentaine de livres pour la jeunesse, privilégiant essentiellement le format carré, pour une meilleure prise en mains enfantines. Il sera également à la tête de cinq collections éditoriales.

munari_prelibri.jpgI Prelibri, Corraini (1re éd. Danese Edizioni, 1980)

Les Prélivres sont parus en 1980 pour les enfants ne sachant pas encore lire et ignorant presque tout des objets qui les entourent. 12 livres dédiés au toucher, composés de matières différentes destinées à éveiller leur sensibilité et à leur faire faire connaissance avec un livre en tant qu'objet.

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munari_abc2.jpgABC, Corraini (1re éd. The World Publishing Company, 1960)

Véritable plasticien qui transforme le papier calque en brouillard, Munari est aussi humoriste, poète et maître du non-sens dans ses textes. Les personnages sont tour à tour des êtres vivants, des objets ou même des végétaux. Autant animé par une démarche artistique que pédagogique, Munari révèle à l'enfant son rapport au monde. L'enfant prend ainsi conscience qu'il a lui aussi sa place dans cette cacophonie de couleurs, de formes géométriques et de flèches lui indiquant les chemins possibles. Comme il le disait lui-même : "un livre, ça sert à mieux vivre".

Munari-libro-letto-1993.jpgLibro letto, 1993

En Italie, tous ses livres ont été édités par Maurizio Corraini.
Quelques-uns ont été publiés en France, notamment par L'École des Loisirs, les Éditions du Joker et les Éditions de la Paix pour les plus anciennes, mais aujourd'hui, c'est surtout grâce au travail remarquable de l'association Les Trois Ourses dans le domaine de la littérature jeunesse, que Munari est de plus en plus connu chez nous.
Plusieurs de ses œuvres ont été rééditées tout récemment par Le Seuil, La Fontaine aux Loups et Delphine Montalant.


 munari5.jpg   munari6.jpg   munari7.jpg
Rééd. de Corraini : Zoo (The World Publishing Company, 1963) ; Rose nell'insalata, (Einaudi, 1974)
et Il venditore di animali (Mondadori, 1945)

De nombreux illustrateurs jeunesse ont aujourd'hui une approche qui n'est pas sans rappeler celle de Munari. On peut citer notamment Katsumi Komagata et plus récemment Hervé Tullet.

+ d'infos :
Nous avions parlé de son jeu Più e Meno ICI
Pour une présentation ludique de Munari et de son œuvre : ICI
Pour mieux capter l'univers de Munari : Les Livres de Bruno Munari
de Giorgio Maffei / Les Trois Ourses, 2009. 42€

 

munari1

Supplemento al dizionario italiano, Corraini (1re éd. 1958)

 

 

©Bruno Munari pour les illustrations, ©éditeurs pour les extraits de livres

 

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28 février 2010 7 28 /02 /février /2010 08:48

Nous avions présenté Nicolas Bouvier photographe. Or l'écrivain suisse (1929-1998) fut également un iconographe émérite, à une époque où le métier était encore très peu pratiqué. Un métier « presque aussi répandu que celui de charmeur de rats », une « foire aux images » dans laquelle il est « tombé comme pierre dans le puits », répétera Bouvier avec humour.

Bouvier iconographeNicolas Bouvier ©Éliane Bouvier

Peu de temps après son retour du Japon, et quatre années passées sur les routes, Nicolas Bouvier fait ses premiers pas en tant qu'iconographe. On est en 1962, et l'OMS prépare L'Année ophtalmologique, un numéro spécial sur l'œil et les maladies oculaires. Nicolas Bouvier (qui n'a pas encore réussi à trouver d'éditeur pour son récit de voyage, L'Usage du monde) est chargé de trouver une centaine de documents pour l'illustrer. Il ne connaît rien au sujet, encore moins au métier. Aussi, il interroge, cherche, tâtonne, finit par trouver.

Bouvier Bartisch-copie-1Das ist Augendienst de Georg Bartisch, fin XVIe

Quand la brochure sort, Bouvier est immédiatement contacté par Erik Nitsche, graphiste américain, pour travailler au projet de la « Nouvelle Bibliothèque illustrée des Sciences et des Inventions », 12 volumes à paraître toutes les 6 semaines aux éditions Rencontres. Leur collaboration dure un an et demi, jusqu'au dernier numéro de 1963.

Bouvier BecherFrontispice de la Physica Subterranea de Becher, ca.1715

Le travail est passionnant mais harrassant (des allers et retours à la BNF, 15 à 16 heures de recherches et de prises de vue par jour, 60 kilos de matériel photo sur le dos), tant le rythme des parutions est dense. La diversité des thèmes abordés est éloquente : l'aéronotique, la fusée et l'exploration spaciale, la marine, l'armement, l'astronomie, la locomotion terrestre, l'électricité, la physique, la communication, la chimie, la machine, l'histoire de la médecine. Nicolas Bouvier fait installer un banc de prises de vue dans un local de la Bibliothèque universitaire de Genève (son père en est le directeur).

Bouvier Venus    Bouvier cosmographie 1
Vénus allemande, bois gravé, début XVIe                          Cosmographie, Sebastien Münster, Zurich, 1543


« Si l'iconographe scrupuleux risque sa santé mentale au service de causes qu'il n'a pas choisies, il ne profite pas moins des musées ou bibliothèques auxquels il a accès pour satisfaire son goût personnel et constituer son musée imaginaire avec des images que personne ne lui demande et qui lui font signe. » Au fil de ses recherches, il constitue des archives personnelles de près de 30 000 documents. Ses préférences vont aux images d'Épinal, aux estampes populaires et aux planches techniques (botanique, zoologie, anatomie). Malheureusement, l'époque est aux ektas et la maladie qui les ronge fait perdre à l'iconographe une centaine de documents chaque année.


Bouvier-Magnus.jpgHistoire des peuples du Nord par Olaus Magnus, 1557


En 1964, l'éditeur Charles-Henri Favrod lui commande un livre sur le Japon pour sa collection « L'Atlas des voyages ». Bouvier part avec sa femme et son fils pour Kyoto, où il reste près de deux ans à collecter des documents. Le livre paraît en 1967 aux éditions Rencontres sous le titre Japon. Il retourne au Japon en 1970 pour illustrer quatre livres sur l'Exposition universelle d'Osaka ; cette fois, il effectue lui-même la mise en pages.

Dans les années qui suivent, il effectue des recherches pour une commande importante : Vingt-cinq ans ensemble. Histoire de la télévision romande paraît en trois volumes aux éditions SSR en 1979.

Durant les années 1980, il illustre avec Sabina Engel la revue Le Temps stratégique. Ils élaborent ensemble le concept de la collection « Ars Helvetica » sur les arts visuels en Suisse, une commande pour le 700e anniversaire de la Confédération. En 1991, Bouvier écrira, illustrera et mettra lui-même en pages L'Art populaire en Suisse pour les éditions Pro Helvetia/Desertina, sans doute son travail le plus abouti dans ce domaine (réédition Zoé, 1999).

Hauswirth.jpg   Louis-David-Saugy.jpg
Montée à l'alpage par Johann Jakob Hauswirth (1808-1871) et Louis David Saugy (1971-1953)


De 1992 à 1997, il anime par des textes illustrés la rubrique « L'image de… » du Temps stratégique. Ces textes seront regroupés après sa mort dans un petit opuscule intitulé Histoire d'une image et publié par les éditions Zoé en 2001.

Bouvier Kundalini-copie-1     Bouvier Anatomie-copie-1
Les çakras, relais transformateurs, Kundalini                  Gautier d'Agoty, L'Ange anatomique, Paris, 1745


Être iconographe, pour Bouvier, c'est livrer, à des auteurs ou des éditeurs de livres ou de magazines, des images qu'ils ne savent pas où trouver – estampes, peintures, grimoires, mais aussi graffiti, tatouages, etc. Les qualités requises : une grande curiosité ; beaucoup de patience et d'humilité ; une bonne connaissance des fonds iconographiques ; une énorme mémoire visuelle ; mais aussi et surtout, la capacité à envisager toutes les formes que peuvent ou ont pu revêtir un motif, un thème, un événement dans l'expression graphique ou plastique – la capacité à n'en exclure aucune et à déceler, à « voir » laquelle est la plus forte, la plus insolite – la capacité à pousser l'esprit d'analogie dans ses derniers retranchements – la capacité à innover sur des sujets éculés, à dénicher des images inconnues, oubliées depuis des siècles…

L'iconographe d'alors sévit dans le fabuleux bric-à-bric des bibliothèques, dont Bouvier dira joliment : « Une fois décodées et percées à jour, les bibliothèques sont comme des violons ; qu'ils aient 100 ou 300 ans, plus on les joue, plus ils s'y prêtent. » Un travail silencieux, solitaire, dont il se souviendra avec émotion : « J'ai donc passé des heures de félicité absolue, à découvrir cet immense archipel des images. Sans parler du plaisir de cadrer, photographier, tirer soi-même, dans le silence de la chambre noire, les documents dénichés. »

On fait toujours appel aux iconographes aujourd'hui, pour des supports de plus en plus mixtes et variés, à la durée de vie parfois limitée. Outils et enjeux ne sont plus du tout les mêmes, et à l'heure où l'image est reine, on assiste pourtant à une banalisation certaine. Comment garder l'œil ouvert dans ce magma visuel, retrouver les ayants-droits et défendre la vision d'un artiste ? Voilà le quotidien des iconographes modernes, dont nous reparlerons bientôt.

Quelques phrases de Bouvier à méditer :
« Plus l'iconographe est rodé, plus il est exposé à illustrer des sujets dont, au début, il ignore tout. »
« En affinant sa technique de recherche, il atteint son seuil maximal d'incompétence. »
« Encore un côté plaisant du métier : nous travaillons souvent pour des polygraphes incompétents et prétentieux. »
CQFD !
Bouvier-image-copie-1.jpg
À lire, entre autres :
Nicolas Bouvier, « Tribulations d'un iconographe », article paru dans Émoi, Lausanne, 1986-1987
Nicolas Bouvier, Une orchidée qu'on appela Vanille / Éditions Metropolis, 1998
Nicolas Bouvier, L'Art populaire en Suisse / Pro Helvetia/Éditions Desertina, 1991, rééd. Éditions Zoé, 1999
Nicolas Bouvier, Le Corps, miroir du Monde, voyage dans le musée imaginaire de Nicolas Bouvier / Éditions Zoé, 2000
Nicolas Bouvier, Histoire d'une image / Éditions Zoé, 2001


À voir :
Une dizaine d'émissions où Nicolas Bouvier évoque avec passion ses divers métiers, dont celui d'iconographe : ICI.

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21 février 2010 7 21 /02 /février /2010 16:32
En ce dimanche, on vous propose « une BD sur la MB du BD »*, comme aurait pu le dire Laurent Bruel, auteur de La Méthode Bernadette, bande dessinée publiée en 2008 dans la collection Imagème qu'il dirige aux éditions Matière.

MB Couverture
Le livre repose sur un montage d'images en noir et blanc, celles des sœurs Bernadette, que le texte de Laurent Bruel, succinct et efficace, vient éclairer pour proposer une lecture, une interprétation de ce que fut l'histoire de cette célèbre méthode de catéchisme imaginée à Thaon-les-Vosges par l'abbé Bogard et dessinée par sœur Marie de Jésus : une arme pour tenter de lutter contre le modernisme, le communisme, le cinéma et tout ce qui pervertit, une théorie et une méthode pour remettre les bonnes âmes dans le droit chemin.

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planch mb6Couverture et planches de La Méthode Bernadette ©Éditions Matière, 2008

L'éditeur de ce livre aurait pu se contenter de reproduire les images de la Méthode Bernadette, suffisamment parlantes et graphiques pour susciter à elles seules l'intérêt. Laurent Bruel a au contraire choisi d'effectuer un véritable travail d'édition, à partir du matériau qui lui été offert, agençant les images une à une jusqu'à reconstituer l'histoire de leur création, apportant à chacune d'elles un éclairage discret destiné à en souligner le propos ou à premettre de s'en distancier… Un travail personnel assez audacieux, assorti d'une préface (François Cheval) et d'une postface (Sonia Floriant) qui reviennent sur le contexte historique, politique et social de la Méthode.

——————

La Méthode Bernadette apparaît sur le marché en 1934, en même temps que les fascicules illustrés de La Miche de pain publiés sous l'égide de l'Église catholique (textes de Marie Tribou, illustrations d'Odette Fumet). On est à la veille du Front populaire et de la Seconde Guerre mondiale.
Radicalement indépendante de l'Église, la Méthode Bernadette est une méthode d'imprégnation par l'image  –  « Ut Videant », « Ce qu'ils doivent voir »  –, la parole et le chant : dans un premier temps l'œil déchiffre la vignette, puis le catéchiste donne une courte explication de deux lignes qui est  soigneusement notée sous l'image avant d'être chantée à haute voix.  Le message est souvent agressif, voire violent.
La “silhouette“, par l'absence de détails, capte l'attention, retient l'œil, le noir sur le blanc du papier donnant relief et perspective aux formes. On connaissait les ombres chinoises, les « Scherenschnitte » autrichiens ; ici, les images en trois dimensions se succèdent et les silhouettes s'animent.

MB-vignette-1.png
Le procédé de fabrication est illustré dans une série de 17 lettres-tableaux qui forment les mots « Méthode Bernadette » :
1. L'abbé Bogard couche l'idée sur le papier en effectuant un croquis d'intention
2. Sœur Marie de Jésus compose l'image première
3. Le dessin est mis au point au format définitif, après avoir subi quelques retouches et modifications
4. Les sœurs de la communauté se chargent du transfert sur calque, de la mise en pochoir, du découpage et de l'encrage

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Images ©Sœurs Bernadette de Saint François de Sales / clichés musée Nicéphore Niépce

La Méthode : 4 séries de 150 tableaux, soit 600 tableaux soigneusement codifiés et répertoriés, et six mois pour réaliser artisanalement une série. Aussi, face au succès grandissant de la Méthode, les 60 petites mains ne suffisent plus. En 1937, le procédé de fabrication est modernisé et confié à l'imprimerie : le graveur taille le pochoir dans une plaque de zinc qui sert de matrice pour l'impression. La Méthode Bernadette devient rapidement une véritable industrie : cartes postales, vignettes à coller, panneaux, livrets, produits dérivés (jeu de loto en 15 planches, vignettes-timbres, cartes géographiques, films). La distribution est confiée à la Maison du bon livre, fondée à Thaon-les-Vosges face à la « Ruche » où œuvrent les sœurs Bernadette.

MB-vignette-3-copie-1.gif
Petite chronologie :

1924 : l'abbé Bogard a l'idée d'une nouvelle méthode de catéchisme
1934 : la Méthode Bernadette est lancée sur le marché, en même temps que les périodiques de La Miche de pain
1937 : la fabrication de la Méthode est confiée à l'imprimerie Humblot et Cie de Nancy, tandis que La Miche de pain fait paraître ses derniers fascicules
1941 : la Méthode est distribuée dans les missions, soit près de 80 pays
1951 : l'exploitation et la reproduction de la Méthode est confiée aux Presses missionnaires des éditions Saint-Paul, à Issy-les-Moulineaux ; de nouvelles séries voient le jour, des séries de 10 silhouettes en couleur
1958 : mort de l'abbé Bogard, quelques mois avant la mort du pape Pie XII
1962 : la proclamation du concile de Vatican II, par le nouveau pape réformateur Jean XXIII, sonne le glas de la Méthode
1969 : mort de sœur Marie de Jésus


Les archives des sœurs Bernadette ont été confiées par sœur Henriette Berquand au musée Nicéphore Niépce de Chalon-sur-Saône en mai 2005.

Un documentaire, écrit par Sonia Floriant et réalisé par Sandro Sedran en 2008, a été produit par les éditions Cinéphore, Camera Lucida : Les Silhouettes noires des sœurs sans blanc :



* « Une bande dessinée sur la Méthode Bernadette du Bon Dieu » !

———————

Coup d'œil sur les « consœurs »  :


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        DieuEtatPeche
EtatPecheTXT
La Miche de pain, 1934-1937

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NMP couverture
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La Nouvelle Miche de Pain, Pierre Téqui éditeur, 1988

• • •

JED-couverture-1.jpg    JED-couverture-2.jpg
Jésus est Dieu, Pierre Téqui éditeur, 2004


À méditer ?

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14 février 2010 7 14 /02 /février /2010 10:42

Bouvier-photo-1.jpgNicolas Bouvier, Tokyo, 1966

L'écrivain iconographe suisse Nicolas Bouvier (1929-1998) a réalisé ses premières photographies lors du grand voyage qu'il entreprit à bord de sa Fiat Topolino avec son ami Thierry Vernet en juin 1953, et dont il fera le récit dans L'Usage du monde. Yougoslavie, Turquie, Iran, Afghanistan…

Bouvier photo 4Kurdistan iranien, hiver 1953-1954
Bouvier photo 3 Tabriz, Iran, hiver 1953-1954
   Bouvier photo 6    Bouvier photo 16
Tabriz, Iran, hiver 1953-1954

Après Kaboul, où ils arrivent à l'été 1954, Nicolas Bouvier reprend la route seul, et traverse l'Inde dans le but d'atteindre le Yunnan via la Birmanie. Les frontières étant fermées pour raisons politiques, il échoue à Ceylan où il s'enlise, malade et déprimé, pendant de nombreux mois (expérience douloureuse qu'il relatera tardivement dans Poisson-scorpion).

Le voyage, pour Bouvier, c'est avant tout la rencontre, l'échange, mais aussi un nécessaire dépouillement de soi, un désapprentissage du monde qui seuls permettent de se (re)découvrir et de se forger une identité vraie. Une expérience qui, à l'instar de ses photographies, passe par le négatif.

« On croit qu'on va faire un voyage, mais bientôt c'est le voyage qui vous fait, ou vous défait. »   •   « On ne voyage pas pour se garnir d'exotisme et d'anecdotes comme un sapin de Noël, mais pour que la route vous rince, vous plume, vous essore… »   •   « Un voyage est comme un naufrage, et ceux dont le bateau n'a pas coulé ne sauront jamais rien de la mer. »

En octobre 1955, il parvient à quitter l'île à bord d'un bateau français et atteint Yokohama. Il s'établit au Japon pendant un an et devient photographe pour le compte d'un journal japonais qui lui commande un reportage sur la route impériale qui relie Tokyo à Kyoto.

Bouvier photo 13
Bouvier photo 11
Le mur, quartier d'Araki-chô, Tokyo, 1956

Doté d'un regard acéré à la vision fragmentée, il s'attache à capter l'instant fugitif, l'émotion fulgurante, comme la simple beauté d'un visage ou d'un paysage. Il révèle à travers l'œil de l'objectif ce qui fait à la fois l'unité et la diversité du monde tel qu'on le ressent. Des photographies émouvantes qui traduisent une atmosphère, un état d'âme, qui transmettent une expérience authentique et en sont le reflet subjectif, réfléchissant. Surtout, Nicolas Bouvier prend le temps. Il se forge ainsi une écriture, un regard.

Bouvier photo 8Femmes Aïnu, île de Hokkaïdo, 1964
    Bouvier photo 7        Bouvier photo 10
                                        Péninsule de Tango, 1965                                                     Aïkawa, île de Sado, mars 1965

Il séjournera de nouveau au Japon de 1964 à 1966, et s'y rendra encore en 1970 pour l'Exposition universelle d'Osaka, en profitant pour visiter la Corée du Sud. Dans les années 80, il effectuera encore de courts séjours, en Irlande, dans les îles d'Aran, en Chine (Journal d'Aran et d'autres lieux), en Écosse…

Bouvier photo 15Corée du Sud, 1970


Le fonds photographique de Nicolas Bouvier a été déposé au musée de l'Élysée à Lausanne (Suisse) : riche de 870 positifs et de près de 14 000 négatifs, il est malheureusement difficilement accessible et consultable uniquement sur place.

Les livres sur les photographies de Nicolas Bouvier :
Dans la vapeur blanche du soleil / Éditions Zoé, 1999
Nicolas Bouvier, L'Œil du voyageur / Éditions Hoëbeke, 2001 (mise en pages de Massin)
Le Japon de Nicolas Bouvier / Éditions Hoëbeke, 2002 (mise en pages de Massin)

Les livres sur la photographie, par Nicolas Bouvier :
Entre errance et éternité / Éditions Zoé, 1998 (les photos des quatre expos qu'il a organisées sur le thème des montagnes)
Boissonnas, une dynastie de photographes, 1864-1983 / Éditions Payot, 1983 (ouvrage de commande)

©Musée de l'Élysée, pour les photographies


Très prochainement, Nicolas Bouvier iconographe.

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7 février 2010 7 07 /02 /février /2010 10:20
maciet7 maciet5















Étoffes. Broderies. Japon. Vol. 1, ca 1800-1900. Cote : Maciet 287/25

Pour répondre aux besoins des artistes et par passion, l'amateur d'art Jules Maciet (1846-1911) a récolté frénétiquement, à partir de 1885, plus d'un million d'images découpées dans tous les supports possibles (affiches, livres, réclames...) et classées par albums. À l'instar de Pierre Larousse et de son dictionnaire universel avec lequel il souhaitait « instruire tout le monde sur toutes choses », Maciet a développé une véritable encyclopédie visuelle. Il a légué au total plus de 5000 albums et plus de 2000 œuvres d'art au Musée des Arts décoratifs, mais aussi au Musée des Beaux-Arts de Dijon entre 1897 et 1911.

maciet6.jpgÉtoffes. Broderies. Japon. Vol. 1, ca 1800-1900. Cote : Maciet 287/25

Cette incroyable et méticuleuse collection a été constituée notamment pour compléter la documentation des artistes, ceux-ci ayant, selon Maciet, davantage besoin d'iconographie que de livres. Il dira d'ailleurs un jour, en entrant dans la Bibliothèque des Arts décoratifs : "Ce n'est pas pour vos bouquins que tout ce monde est ici, c'est pour mes albums" !

maciet1.jpgSérie Mode 1803-1805, Cote : Maciet MOD/6

Afin de protéger cette collection unique au monde, la Bibliothèque des Arts décoratifs a engagé la numérisation des images en répondant aux appels à projets lancés de 2000 à 2007 par la Mission de la recherche et de la technologie dans le cadre du Programme national de numérisation du ministère de la Culture et de la Communication.


maciet2 maciet3.jpg































Série Mode 1803-1805, détail de l'album. Cote : Maciet MOD/6

Sur Internet, il est possible de consulter le catalogue de la Bibliothèque et de visualiser :
• 2000 gravures de « Graveurs et ornemanistes » du XVIe au XVIIIe siècle, français, italiens, allemands, de Heinrich Aldegrever à Antoine Watteau, provenant de la réserve
• 10000 pages des albums de « Mode » du XVIIIe siècle jusqu’en 1939 constituées d’estampes – gravures et lithographie – en provenance de journaux de modes
• environ 2800 gravures Japonaises du XIXe siècle collées dans la série « Étoffes »

Et 700 albums du fonds Maciet sont consultables à partir de l'Intranet de la Bibliothèque des Arts déco.

maciet4.jpgÉtoffes. Broderies. Japon. Vol. 1, ca 1800-1900. Cote : Maciet 287/25

Dommage que l'unique livre lui ayant été consacré, édité par la Bibliothèque des Arts déco en 2002, soit complètement raté au niveau graphique : typo énorme, notes imbriquées dans le texte qui rendent la lecture pénible et images tronquées par volonté d'originalité (pour un effet de "collection continue", sans doute).

+ d'infos
Le vertige des images, la collection Maciet / Jérôme Coignard, Bibliothèque des Arts décoratifs, 2002
Description du fonds Maciet sur le site de la Bibliothèque des Arts déco.

©Collection Maciet/Bibliothèque des Arts décoratifs

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31 janvier 2010 7 31 /01 /janvier /2010 11:33

thonik_Centraal_Museum.jpgCentraalmuseum d'Amsterdam, depuis 2006

Au début des années 1990, une nouvelle génération de graphistes tente de se démarquer de la tendance générale postmoderne  en essayant de revenir à une typographie utilitaire, simple et dépouillé afin de servir au mieux le but ultime : la communication. C'est le cas de l'agence néerlandaise Thonik, fondée en 1993 par Thomas Widdershoven et Nikki Gonnissen, qui se place rapidement sur le devant de la scène.

Adoptant en partie le postmodernisme à travers l'indépendance et l'expérimentation du designer, Thonik rejette en revanche l'association systématique d'images pour véhiculer idée ou message. Le duo préfère le langage et la typographie à l'iconographie. Widdershoven parle parfois d'happy modernism pour caractériser ce travail : un modernisme qui se serait libéré d'une méthodologie rigoureuse et disciplinante. Ils refusent également de distinguer plusieurs niveaux de cultures et n'hésitent pas à intégrer des éléments issus de la culture dite "populaire" dans leurs réalisations destinées aux établissements culturels : des lettres immenses, des couleurs contrastées et un humour parfois culotté. En bref, ils n'hésitent pas à s'amuser et à ajouter un zeste de subjectivité dans leurs œuvres.

thonik1.jpgthonik_amsterdam2.jpg



















Le nouveau logo de la ville d'Amsterdam qui remplace les logos des 55 services publics depuis 2002. Il rappelle les 3 croix de Saint André, patron d'Amsterdam, qui sont censées protéger la ville de la peste, des inondations et des incendies.

thonik-Boijmans-1.jpgMuseum Boijmans van Beuningen, Rotterdam, depuis 2006

thonik MartaHerford1Marta Hertford Museum, depuis 2004

Aujourd'hui, 14 collaborateurs créent pour des éditeurs, des institutions culturelles et publiques des outils de communication et de promotion frais et colorés, pleins d'humour, où la typographie a une place de choix. Leur dada étant toujours de détourner des méthodes utilisées habituellement dans la communication ou le marketing pour servir là où on n'a pas l'habitude de les utiliser : dans la culture par exemple.

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Campagne pour les 25 ans de regne de la Reine Béatrix, 2005

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SP, Parti socialiste néerlandais, depuis 2005

Une vidéo très créative a été réalisée pour la campagne du Parti socialiste néerlandais issu de la gauche radicale, dont ils revoient toute l'identité visuelle en 2005 : les gens sont invités à renseigner leur nom ainsi que leur adresse email pour recevoir un lien vers une vidéo personnalisée où le leader du parti les interpelle directement. À visionner ICI en néerlandais, mais à voir en français à la Galerie Anatome qui les expose pour la première fois en France jusqu'au 20 mars 2010.
 
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Expo Thonik, Galerie Anatome, Paris

Sur le site de Thonik, il est possible de réaliser et télécharger un book pdf en haute définition, en sélectionnant nous-mêmes les projets qui nous intéressent. Bien vu !

On va pas mal entendre parler de ce duo à Paris cette année : l'Institut néerlandais leur consacrera une expo présentant particulièrement leurs œuvres conceptuelles et tridimensionnelles et Thomas Widdershoven sera invité au Centre Pompidou pour une Soirée Spéciale Thonik, dans le cadre de "Graphisme en revue".

Thonik A/in Paris
jusqu'au 20 mars 2010 • Galerie Anatome • 38 rue Sedaine • 75011 Paris
en 2 sessions, du 3 février au 14 avril et du 15 avril au 11 juillet 2010 • Institut néerlandais • 121 rue de Lille • 75007 Paris
débat le 12 février 2010 • Centre Pompidou • Place Georges Pompidou • 75004 Paris. Entrée libre

Biblio
Thonik
/ Bis Publisher, 2001. 30€ – en vente à la Galerie Anatome
Thonik en / Noriko Kawakami, Grafik Magazine, 2009. 25€

©Thonik pour les œuvres, ©Gone Fishing pour les photos de la Galerie Anatome

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24 janvier 2010 7 24 /01 /janvier /2010 23:40

Frise moomins

Dans la famille finlandaise des Jansson, je voudrais : le père sculpteur, la mère illustratrice, caricaturiste et romancière, les fils romanciers, spécialisés dans la photographie aérienne et… Tove, l'aînée, également romancière, illustratrice et peintre.

                        tove-jansson         Garm moomins
Tove Jansson (1914-1998) et la couverture du numéro de juin 1947 de Garm

Tove Jansson publie sa première bande dessinée (Les Aventures de Prickina et Fabian, les deux chenilles amoureuses) dès l'âge de 14 ans, une série de 7 épisodes, dans le journal Lukentus en 1929. Suivent deux autres bandes dessinées (Le Ballon de foot qui s'envola jusqu'au ciel, 1930 ; Pelle et Göran prennent la mer, 1933), avant la collaboration au journal satirique Garm, dans lequel la mère et la fille dessinent côte à côte pendant près de vingt ans – Tove réalise pas moins de 500 illustrations entre 1930 et 1953, et signe toutes les couvertures à partir de 1944.

Prickina planche 1-copie-1
Ballon planche 1-copie-1
Pelle planche 1-copie-1
Extraits des trois premières BD publiées par Tove Jansson en 1929, 1930 et 1933


En 1945, Tove, 31 ans, publie son premier roman des Moomins, un roman illustré pour la jeunesse : Le Petit Troll et la grande inondation ; le second, La Comète arrive !, paraît l'année suivante. Le rédacteur du quotidien Ny Tid, Atos Wirtanen, lui demande alors de créer une bande dessinée pour illustrer son journal. Tove adapte son second roman, et l'intitule Moomin et la fin du monde. Le premier strip paraît le 4 octobre 1947, puis tous les vendredis jusqu'au 2 avril 1948, soit 26 strips.

Fin Monde 1 moomins 1
Récit graphique plutôt que bande dessinée, fidèle à la tradition européenne, le texte est encore inscrit sous le dessin, découpé en six cases.
moomin 2Les Moomins ne sont pas des hippopotames mais une famille de trolls finlandais qui rencontrent toutes sortes de personnages au fil de leurs aventures : brigands, extra-terrestres, mais aussi hatifnattes, filifolles, hémules... Les strips s'adressent aux enfants, sur un ton drôle faussement léger. Le dramatisme et les réflexions sur la vie en société, le quotidien, les rencontres, l'amour, le couple et même la politique sont toujours présents.

Les deux romans de Tove Jansson paraissent en Angleterre aux éditions Benn en 1950 et 1951. Le succès commercial est tel que l'Associated Newspapers Ltd s'intéresse de près aux Moomins pour une parution quotidienne de la bande dessinée en feuilleton. Un contrat est signé en juin 1952 et les 30 premiers strips, écrits en suédois par Tove (sa langue maternelle) et traduits en anglais par son frère Lars, sont envoyés à Londres. L'originalité de Tove, ses personnages et son style plaisent, mais les débuts sont un peu laborieux avant que Tove ne trouve le ton.

Le grand lancement a lieu le 20 septembre 1954, dans le London Evening News, le plus grand quotidien du soir au monde, tiré à 12 millions d'exemplaires. Le succès est immédiat. Dès 1955, les Moomins sont vendus en Finlande, Suède, Norvège, Danemark et Yougoslavie. Le premier club Moomin est créé à Londres en 1956. Des chansons sont composées et diffusées sur les plus grandes radios.

moomin 1
Début 1957, Tove est dépassée, et sans doute un peu lasse (310 strips annuels, de nombreux produits dérivés à imaginer). Elle souhaite désormais se consacrer à ses peintures et ses romans. Or à cette époque, son frère Lars met un terme à la société de photographie aérienne qu'il a fondé en 1952 avec son frère Peter Olov. Il est donc sans travail, et a déjà publié sept romans. Les Moomins étant devenus une affaire de famille, Lars part à Londres à l'automne 1957 suivre une formation à l'écriture de la bande dessinée. Il travaille avec sa sœur aux scénarios pendant deux ans, apprend à dessiner les Moomins à son insu, et envoie ses premiers strips, écrits directement en anglais cette fois, en avril 1959. Il succède à sa sœur dans les pages du London Evening News jusqu'en 1968, date à laquelle le journal décide d'arrêter la publication. Lars continue à collaborer avec de nombreux autres journaux, mais gagné à son tour par la lassitude, il décide de mettre fin à l'aventure et publie son dernier strip le 16 avril 1975.
 
moomin 3
Les Moomins ont donc paru pendant près de 21 ans sans interruption ! De 1954 à 1957, Tove a réalisé les dessins et scénarios de 800 strips de 4 cases, soit près de 3200 dessins lettrés. En 1957, 1958 et 1959, elle a travaillé avec son frère Lars, avant qu'il ne reprenne seul le flambeau, de 1960 à 1975. Le succès des strips est considérable : près de 40 pays (dont l'Afrique du Sud, l'Inde, l'Ouganda…) et plus de 120 journaux internationaux ont accueilli la famille dans leurs pages. Plus de 20 millions de lecteurs quotidiens !

En France, on doit la parution des premiers albums tant attendus des aventures des Moomins aux éditions Le Petit Lézard. Une belle entreprise éditoriale en 5 volumes commencée en 2007 : Moomin et les brigands / Moomin et la merMoomin et la comète // Une vie avec les Moomins, de Juhani Tolvanen, qui retrace l'historique de la bande dessinée, documents à l'appui // enfin, plus gourmand, Le Livre de cuisine des Moomins, pour les amateurs de cuisine finlandaise façon moomine.

Brigands 1 moominsPremière planche du premier épisode des Moomins


Un univers très attachant, dont le succès planétaire au long cours s'explique sans doute en grande partie par le caractère intemporel des personnages et de leurs aventures.
Côté graphique, l'économie et la précision du trait, la récurrence des motifs (le sac et le tablier de Maman Moomin !) et, surtout, la découpe audacieuse des cases (des gouttières innombrables qui se font lianes, fleurs, parapluie…) donnent cohérence et vie à l'histoire. Côté texte, fantaisie, humour et naïveté, mais aussi satire sociale au propos décalé ou acéré.
Un travail plein, minutieux, d'une étonnante fraîcheur et d'une modernité incontestable.
 
 
Frise 2 moomins-copie-1

On peut toutefois regretter le nombre de produits dérivés (dessins animés, figurines, parc d'attraction, boutiques spécialisées, objets culinaires et vestimentaires, etc.). On ne vous signale pas les liens. Si vous êtes intéressés, vous les trouverez facilement.
Institut finlandais • 60 rue des Écoles • 75005 • Entrée libre

Site officiel
Site perso sur Tove Jansson (intéressant mais beaucoup de liens morts)
Toutes les couvertures des Moomins

moomin stampsTimbres réalisés en 1994, clin d'œil à la mère,
Signe Hammarsten-Jansson (1882-1970),
créatrice de timbres finlandais.

Illustrations Tove & Lars Jansson ©Moomin Characters Ltd.
 
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17 janvier 2010 7 17 /01 /janvier /2010 20:31

sendak.jpg
Maurice Sendak est né en 1928, de parents juifs polonais venus s'installer aux États-Unis. Fasciné par les dessins animés et l'univers de Walt Disney, comme la plupart des enfants de son époque, il construit dès l'âge de 20 ans des jouets animés en bois et est embauché dans un magasin de jouets réputé. Après avoir publié quelques illustrations dans des livres pour enfants, il devient très rapidement illustrateur à temps complet.

                  sendak Alligator      sendak Mad-Little-Boy
Alligator (study) et Pierre, Mad on Chair, R.Michelson Galleries

À 31 ans, il a déjà plus de 50 livres jeunesse à son actif quand il publie Where the wild things are (Max et les Maximonstres), ovni au succès immédiat.

sendak max2Max et les Maximonstres, 1963 pour l'édition originale

Son trait est minutieux et ses illustrations sont pleines, laissant rarement place au "blanc". Il participe également à partir des années 70 à la création de costumes et de décors pour le théâtre, et fonde en 1990 la troupe de théâtre "The Night Kitchen", destinée à soutenir la production de spectacles Jeunesse de qualité, mais il préfère par-dessus tout le monde des livres. Il est d'ailleurs le premier illustrateur américain à recevoir le Prix Andersen en 1970 pour l'ensemble de son œuvre.

sendak night kitchenCuisine de nuit, 1970 pour l'édition originale

Ses personnages ont beaucoup de cran. Il s'agit souvent d'enfants ordinaires qui sont les héros de leur quotidien. C'est ce quotidien qui est mis en scène à travers leurs questionnements, leurs trouilles universelles : la peur du noir, de l'abandon notamment, qui se traduit par la volonté d'attirer l'attention pour susciter l'intérêt, pour qu'on s'occupe d'eux, tout simplement. Sendak leur fait affronter ces peurs en les matérialisant par des personnages en encre et papier. Le message est parfois violent, parce que direct, et Sendak est d'ailleurs l'objet de controverses assez véhémentes de la part des psychologues.

Son dernier livre date de 2007. Il vit maintenant dans le Connecticut.

sendak mummyMummy ?, Scholastic Uk Ltd, 2007

Son ouvrage le plus connu, Max et les Maximonstres, a été adapté par Sendak lui-même pour le théâtre en 1979, avant d'être porté en 2009 à l'écran. 46 ans après, le livre n'a pas vieilli, en raison de son sujet, universel, mais aussi parce qu'il n'y a pas d'être humain dans le livre, Max mis à part. Et il n'y a pas non plus de vêtement susceptible de dater le livre, puisque Max porte constamment un déguisement de chat. Pour l'adaptation cinématographique, Spike Jonze a su tirer l'essentiel du livre, en ajoutant pourtant beaucoup d'éléments et de péripéties n'y figurant pas. L'univers et le message sont là version cinéma, sans perdre de l'efficacité de l'album. L'adaptation de Dave Eggers se révèle donc assez fine. On n'échappe évidemment pas à quelques scènes un peu niaises et le film est un peu long, mais dans l'ensemble, il s'agit d'un beau conte pour petits et grands, laissant place à l'imaginaire et à la violence des tourments enfantins.

                        sendak max film      sendak max film2
Max et les Maximonstres, le film

Biblio non exhaustive

Where the wild things are / Harper and Arow, 1963 – Max et les Maximonstres / Delpire, 1967
Higglety Pigglety Pop, 1967 – Turlututu chapeau pointu / École des Loisirs, 1980. En mémoire à sa chienne Jennie, décédée la même année.
In the Night Kitchen, 1970 – Cuisine de nuit / École des Loisirs, 1972. Longtemps refusé par beaucoup de bibliothèques jusque dans les années 80 à cause du petit garçon qui s'y promène nu !
Really Rosie, 1975 – Rosie / École des Loisirs, 1981
Mummy – Maman ?, École des Loisirs, 2009 (Scholastic Uk Ltd, 2007 pour l'éd. anglaise). Livre pop-up d'un diaporama de monstres.

© Maurice Sendak pour les illustrations, © éditeurs pour les couvertures et extraits de livres.
 
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